Lettre au ministre des Anciens Combattants sur les demandes relatives à l'agent Orange - 2017

29 novembre 2017

Monsieur le ministre,

Je vous écris pour vous informer que dorénavant, lorsque le Tribunal recevra une requête pour entendre une demande relative à l'agent Orange, j'exercerai le pouvoir conféré au Tribunal par le paragraphe 85(1) de la Loi sur les pensions et l'article 86 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes* de vous renvoyer toutes les demandes de cette nature aux fins d'un réexamen.

Cette décision fait suite aux jugements de la Cour fédérale ci dessous :

Au fil des ans, le Tribunal a reçu un nombre considérable de demandes concernant l'exposition alléguée à l'agent Orange durant le service à la BFC Gagetown dans les années 1960. Dans l'évaluation de ces demandes, le Tribunal (comme le Ministère) s'est fondé sur le Rapport de l'enquêteur rédigé par Dr Dennis Furlongi à la demande du gouvernement du Canada. Le Rapport Furlong avait été reçu comme une preuve définitive des faits suivants :

  • l’endroit où l'agent Orange avait été pulvérisé;
  • les dates auxquelles l'agent Orange avait été pulvérisé;
  • la durée pendant laquelle les agents toxiques du défoliant étaient actifs ou à des niveaux dangereux;
  • l'aire de dispersion due aux vents dominants;
  • les personnes ou professions qui auraient été exposées à l'agent Orange à des niveaux dangereux durant les deux périodes de pulvérisation connues à la BFC Gagetown pendant trois jours en juin 1966 et quatre jours en juillet 1967.

Il est souligné dans le Rapport Furlong que les essais s'étaient déroulés dans un secteur isolé et très boisé de la base; que le secteur des essais n'avait pas été utilisé depuis à des fins d'entraînement; et qu'un nombre limité de personnes avaient participé aux deux essais. En outre, il est conclu que :

  • les préposés au mélange et au chargement ainsi que les signaleurs – et les personnes à qui on a autorisé l’accès au secteur pulvérisé dans les 24 heures suivant la pulvérisation - pouvaient également connaître des problèmes à court terme;
  • des risques potentiels à long terme pour la santé ont été établis uniquement pour les préposés à l’application d’herbicides ou au débroussaillage après l’application d’herbicidesii

Lorsque nous les examinons en tant qu’ensemble de droit, les décisions susmentionnées de la Cour fédérale montrent clairement que le Ministère et le Tribunal ont mal évalué le Rapport Furlong. D'après ces décisions, on ne peut s'appuyer sur le Rapport Furlong pour étayer la conclusion selon laquelle le personnel militaire affecté à la base Gagetown durant les périodes d'application s'était vu interdire l'accès aux secteurs où l'agent Orange avait été pulvérisé. En particulier, selon la décision Norman Allan Blount v. Attorney General of Canada, 2017 CF 647 :

[traduction]

  • « le Tribunal ne pouvait raisonnablement conclure que [le Rapport Furlong] constituait la meilleure preuve du fait [que le personnel militaire s'était vu interdire l'accès aux sites de pulvérisation] lorsqu'il a été confronté à un témoignage contradictoire de M. McAllister et de témoins qui ont servi avec lui à la BFC Gagetown »;
  • « Le Rapport Furlong ne peut servir de preuve concluante selon laquelle l'agent Orange a été pulvérisé dans un secteur 'inutilisé' »;
  • « que la décision du Tribunal d'appel selon laquelle le Rapport Furlong constituait 'la meilleure preuve' des événements qui se sont déroulés à la Base ne peut plus être considérée comme étant valide à la lumière de McAllister (2014) ».

En termes généraux, la Cour fédérale a cerné des lacunes relatives à la preuve, en particulier : 1) l'emplacement et le mouvement des unités dans le secteur d'entraînement de la BFC Gagetown avant, durant et après les périodes de pulvérisation de l'agent Orange en 1966 et 1967; et 2) une comparaison de ces emplacements et de ces mouvements avec l'endroit de pulvérisation de l'agent Orange.

Les conclusions de la Cour m'ont amené à décider que les vétérans dont les demandes de prestations avaient été réglées au premier palier en se fondant sur le Rapport Furlong ont été victimes d'un manquement substantiel à l'équité procédurale. Ainsi, tous les vétérans ayant présenté une demande de prestations relative à l'agent Orange obtiendront une décision du premier palier fondée sur le droit, tel qu'il a été interprété par la Cour fédérale et le Tribunal s’acquittera de son devoir d'équité procédurale envers les vétérans qui s'adressent à lui.

Je serais heureux de discuter de cette question avec vous à votre convenance pour répondre à toute question que vous pourriez avoir.

Cordialement,

Thomas Jarmyn
Président

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*À compter du 1er avril 2018, la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes sera connue sous l’appellation Loi sur le bien-être des vétérans.
iSoumis au ministère de la Défense nationale et au ministre de la Défense nationale de l'époque, Peter MacKay en août 2007.
iiPage 16, Rapport de l'enquêteur, Dr Dennis Furlong.