Dr Couban - Avis Médical Indépendant

État Splénectomie – Mauvaise gestion médicale (norme de soins)
Date de production 6 juillet 2013
Nom du médecin Dr Stephen Couban, M.D., FRCPC

Le 4 décembre 2012, j’ai reçu une lettre de M. Rob Burnett au nom d’un comité d’appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) souhaitant obtenir un avis médical indépendant dans le cadre d’une demande de pension d’invalidité.

J’ai examiné la lettre de M. Rob Burnett incluant les huit questions précises (vide infra). J’ai également examiné les 157 pages du dossier médical qui m’a d’abord été fourni. Sur la base de mon évaluation initiale, j’ai demandé quelques informations complémentaires. On m’a ensuite fourni des copies du dossier médical complet de l’appelant, lequel représentait plusieurs centaines de pages de renseignements que j’ai également examinées.

Je suis un hématologue qui travaille actuellement à Halifax, où je dirige la division d’hématologie du département de médecine de l’Université Dalhousie et de la Régie régionale de la santé Capital. Je préside actuellement la Société canadienne d’hématologie. Je possède une expertise clinique en hématologie pour ce qui est du diagnostic et du traitement des patients atteints de troubles hématologiques malins, tels que le lymphome et la maladie de Hodgkin.

Après avoir examiné le dossier médical, je comprends les points suivants :

  • L’appelant a fait l’objet d’une évaluation médicale en vue de s’enrôler dans les Forces armées canadiennes le 18 novembre 1965, date à laquelle on a noté que l’appelant avait eu une amygdalectomie à l’âge de 5 ans, une fracture de la clavicule à 7 ans et une appendicectomie à 13 ans. On a mentionné qu’il y avait du sucre dans les urines. Selon le médecin militaire, il était apte à s’enrôler.
  • Il a ensuite passé de nombreuses visites médicales, lesquelles sont bien documentées, mais ne traitent pas des questions abordées dans cette demande de pension d’invalidité.
  • À mon avis, les principales manifestations pertinentes dans le cadre de cette demande de pension d’invalidité et d’appel sont survenues pendant une hospitalisation, du 10 novembre 1974 au 8 janvier 1975. Au moment de l’admission, l’appelant était âgé de 26 ans. Le dossier médical indique qu’il avait de la fièvre, des diarrhées, et qu’il avait perdu 30 lb au cours des six derniers mois (page 46). Fait important, lors d’une admission plus tôt dans la même année, une fièvre de 38 °C a été observée (11 oct. 1974) et au cours de son hospitalisation du 10 novembre 1974 au 8 janvier 1975, il était écrit que l’appelant avait une « légère fièvre ». Le Dr Chertkow, hématologue-consultant, mentionne également l’amaigrissement et la fièvre récurrente dans son commentaire du 27 novembre 1975 (page 136). De plus, le patient avait souffert de douleurs abdominales et de diarrhées, ce qui a été noté à maintes reprises et qui n’a pas été contesté.
  • Le Dr Chertkow présente une opinion et un examen approfondi le 27 novembre 1974 (pages 136 à 138). L’hématologue-consultant affirme : « Compte tenu des antécédents et des résultats actuels, je crois qu’un lymphome est très peu probable. » Ajoutons toutefois que le consultant recommande qu’une lymphangiographie soit effectuée et indique qu’une laparotomie diagnostique devra être considérée si d’autres examens ne permettent pas d’établir un diagnostic.
  • Dans une remarque datée du 21 novembre 1974 intitulée « Remarque du radiologiste », le Dr Agnos indique : « J’ai examiné les données du pyélogramme intraveineux et les clichés sans préparation de l’abdomen de cet homme. Je soupçonne la présence d’une masse rétropéritonéale sur le côté gauche de la colonne vertébrale et possiblement sur le côté droit. L’ombre des psoas n’est pas aussi précise qu’elle devrait l’être et le muscle psoas gauche présente un bombement du bord externe pouvant être causé par une masse... »
  • Le Dr Chertkow évoque ce rapport dans sa consultation et ajoute ce qui suit : « Je suis certainement d’avis que ce patient devrait subir une lymphangiographie compte tenu des rapports du Dr Agnos en ce qui concerne la possibilité d’une masse rétropéritonéale. Il pourrait s’agir d’un autre type de tumeur rétropéritonéale, bien que je croie qu’un lymphome est très peu probable » (page 137).
  • Je n’ai pas été en mesure de trouver le rapport de l’examen lymphangiographique. Je comprends des propos de M. Burnett qu’il y a peu de chances que ce rapport soit trouvé et, en fait, je ne sais même pas si un rapport écrit de l’examen avait été rédigé au départ. Le dossier médical comporte toutefois de nombreuses références aux résultats de la lymphangiographie. Le 5 décembre 1974, le Dr Ziegler précise que « le rapport de lymphangiographie montre des ganglions lymphatiques anormaux au-dessus et en dessous du diaphragme » (page 138). Selon une note ultérieure du Dr Choban rédigée en décembre 1974 et appelée « Remarque de transfert », « [...] il a été dirigé au Victoria Hospital pour une lymphangiographie. L’examen a été fait le 28 nov. 1974 et les résultats ont été déclarés anormaux en raison des ganglions lymphatiques enflés des deux côtés du diaphragme, dont l’apparence correspondait au lymphome et à la maladie de Hodgkin. »

    Il est donc important de souligner que mon évaluation de la lymphangiographie est limitée étant donné que je n’ai pas examiné le rapport moi-même. Toutefois, après avoir examiné les renseignements disponibles, j’en conclus qu’il n’y avait aucun doute que cela était perçu comme un examen très anormal décrivant la présence d’anomalies considérables dans les ganglions lymphatiques au-dessus et en dessous du diaphragme et, en outre, une attention particulière a été accordée au lymphome et à la maladie de Hodgkin.
  • Le 6 décembre 1974, un consultant en chirurgie (le Dr J.K. Prasad pour le Dr D.W.B. Johnston) a écrit : « Il y a une petite glande palpable dans sa région supra-claviculaire qui devrait être biopsiée sous anesthésie locale » (page 138). J’ai remarqué que la consultation en hématologie du 27 novembre 1974 n’indiquait pas cette observation, mais indiquait la suivante : « Il ne présente aucune adénopathie importante. Il y a une petite nodosité palpable de la grosseur d’un pois dans le triangle cervical postérieur gauche ainsi que des nodosités de la grosseur d’un pois dans l’aire épitrochléenne, surtout du côté gauche, où la nodosité est douloureuse au palper. De petites nodosités sont palpables dans l’aisselle gauche. Je crois qu’aucun de ces ganglions lymphatiques palpables n’est significatif sur le plan clinique » (page 137). Le 11 décembre 1974, dans une remarque appelée « Remarque d’acceptation », le Dr Shah écrit : « Il présente quelques ganglions lymphatiques discrets dans la région axillaire et des aines » (page 139).
  • D’après mon examen de l’ensemble du dossier médical et d’après ces éléments particuliers, je conclus que le patient n’avait aucun ganglion lymphatique dominant ou anormal probant nécessitant une biopsie. À mon avis, cet homme était atteint d’une grave maladie se caractérisant par de la fièvre, une perte de poids, des douleurs abdominales et des diarrhées, et on n’a pas estimé que la biopsie d’un petit ganglion lymphatique s’avérerait utile. Compte tenu des renseignements que j’ai examinés, je partage totalement cet avis et je ne trouve aucune information qui laisse entendre que la biopsie de l’un de ces petits ganglions lymphatiques (que ce soit les ganglions lymphatiques dans la région supra-claviculaire droite ou d’autres ganglions lymphatiques mentionnés) aurait pu fournir des renseignements sensiblement pertinents au diagnostic.
  • Le 17 décembre 1974, le patient a subi une laparotomie de stadification, qui incluait une inspection de l’abdomen, une splénectomie, une biopsie du foie à l’aiguille et en coin ainsi qu’une biopsie du ganglion lymphatique. Par la suite, le patient a également subi une biopsie de la crête iliaque. Je n’ai ni trouvé ni examiné le rapport d’opération. Toutefois, le 31 décembre 1974, un document appelé « Remarque de transfert » indique : « Des nodosités iliaques palpables ont été observées. Leur diamètre allait de 1 à 1,5 cm. Elles n’étaient pas emmêlées. Rien ne venait significativement indiquer la présence d’adénopathie autour de l’aorte. Des ganglions lymphatiques visibles étaient également présents dans le mésentère. Un ganglion lymphatique de la région iliaque et un autre du mésentère ont été envoyés en histologie » (page 141).

    Le meilleur jugement médical que je pourrais émettre est que cette laparotomie a été entreprise de manière appropriée. Au moment de la chirurgie, l’équipe médicale du patient était en présence d’un jeune homme atteint d’une importante maladie se manifestant sous la forme de fièvre, d’une perte de poids de 30 lb, de douleurs abdominales et de diarrhées. Les évaluations, les consultations et les investigations appropriées n’avaient pas permis d’établir un diagnostic convaincant. Trois examens radiologiques (plaque simple de l’abdomen, pyélogramme intraveineux et lymphangiographie) suggéraient une grave pathologie intra-abdominale. Lors de la laparotomie, des anomalies ont été constatées au niveau des ganglions lymphatiques iliaques.

    Pour toutes ces raisons, je crois que la laparotomie effectuée, avec les nombreuses biopsies et la splénectomie, était cliniquement nécessaire et appropriée.
     

Dans sa lettre du 4 décembre 2012, M. Rob Burnett attire mon attention sur les éléments suivants :

  1. Dans son rapport du 27 novembre 1974, l’hématologue a écrit : « Je crois qu’un lymphome est très peu probable » (page 137 du rapport).

    Il ne fait aucun doute que l’hématologue estimait que le lymphome était peu probable en fonction de son évaluation clinique, et avec raison. Cependant, il indique que les observations « n’excluent pas totalement cette possibilité » (page 137). Il est tout aussi important de mentionner qu’il croyait que « ce patient devrait subir une lymphangiographie » (page 137).

    Une lymphangiographie avait été recommandée par de nombreux spécialistes. Une fois effectué, l’examen était non seulement anormal, mais il suggérait également des résultats assez inquiétants, dont la possibilité d’une masse rétropéritonéale et d’une adénopathie au-dessus et en dessous du diaphragme. Sur la base de ces informations, il était prudent, approprié et correct de procéder à l’investigation de ces anomalies. Dans ce contexte, l’investigation appropriée à mener à la suite de la lymphangiographie anormale était la laparotomie. Compte tenu des symptômes cliniques connus du patient, des examens radiologiques anormaux précédant la laparotomie et des résultats anormaux de la laparotomie (ganglions lymphatiques cliniquement anormaux), je crois qu’il était raisonnable et correct de procéder aux biopsies, dont celles des ganglions lymphatiques et celles du foie à l’aiguille et en coin, ainsi qu’à la splénectomie.
  2. À un certain moment, une biopsie du ganglion lymphatique était prévue, mais elle a été annulée (page 139). Je crois avoir abordé cette question au point h ci-dessus. La question d’une biopsie du ganglion lymphatique chez un patient malade dont le diagnostic n’a pas été établi est un dilemme clinique très important et courant. La décision d’effectuer une biopsie est prise si les cliniciens croient que le ganglion lymphatique est anormal et si la biopsie du ganglion lymphatique est susceptible de mener à un diagnostic.

    Dans ce cas, j’ai l’impression que le patient était mince et qu’il avait quelques petits ganglions lymphatiques palpables sur plusieurs régions du corps. Une seule fois, après l’évaluation d’un clinicien, on avait envisagé de procéder à la biopsie de l’un de ces ganglions lymphatiques dans la région supra-claviculaire droite. Cette décision a cependant été modifiée par la suite.

    Selon mon expérience, je crois que cette situation est assez courante et je n’ai pas trouvé de preuve suggérant que cette décision était mauvaise ou inadéquate. Plus explicitement, si le ganglion lymphatique de la région supra-claviculaire avait été biopsié et qu’il s’était révélé normal, cela ne m’aurait pas dissuadé de mener des investigations plus approfondies sur cet individu présentant de la fièvre, une perte de poids, des douleurs abdominales, des diarrhées et trois examens radiologiques anormaux suggérant une pathologie dans son abdomen et son thorax.
  3. Un commentaire fait lors de la tournée du 11 décembre 1974 indiquait ce qui suit : « L’équipe médicale a envoyé ce patient passer une laparotomie et possiblement une splénectomie pour la maladie de Hodgkin. Le diagnostic est toutefois ouvert à la spéculation » (page 139).

    Ce jeune homme était considérablement malade. Son dossier indiquait des épisodes de fièvre, un amaigrissement important, des douleurs abdominales, des diarrhées ainsi que trois examens radiologiques anormaux. Aucun diagnostic convaincant n’avait été émis avant la laparotomie. La laparotomie a été effectuée dans le but d’établir un diagnostic. Cet homme satisfait à tous les critères d’une fièvre d’origine inconnue. Dans le cadre de l’évaluation d’un patient cliniquement malade qui présente une fièvre d’origine inconnue et qui a trois examens radiologiques anormaux suggérant une pathologie potentiellement mortelle dans l’abdomen, il était approprié et cliniquement essentiel de procéder à une laparotomie, aux biopsies et à une splénectomie telles qu’effectuées. Ces procédures ont été effectuées dans le but d’établir un diagnostic.

    Une fiche d’observations médicales apparemment datée du 17 décembre 1974 indique ceci : « L’impression clinique allait à l’encontre d’un lymphome, mais la lymphangiographie anormale effectuée au Victoria Hospital suggérait fortement un lymphome à l’abdomen. Cet homme a donc subi une laparotomie exploratrice par le Dr Johnston du service chirurgical; la laparotomie n’indiquait cependant aucune preuve de la maladie de Hodgkin. On a constaté que tous les organes fonctionnaient normalement. Un protocole de lymphangiographie a toutefois été mis en œuvre au Victoria Hospital, c’est-à-dire une splénectomie, une biopsie du foie, une biopsie du foie à l’aiguille, l’excision d’un ganglion lymphatique du mésentère et de la région rétropéritonéale, ainsi qu’une biopsie de la crête iliaque » (page 47).

    La citation ci-dessus me semble incomplète, donc la question ou le problème véritable ne m’est pas entièrement évident.

    Sans aucun doute, l’impression clinique suggérait que la maladie de ce patient n’était pas susceptible de provenir d’un lymphome. Toutefois, il ne fait aucun doute également que ce jeune homme était malade et que sa santé se détériorait sans qu’un diagnostic soit émis après plusieurs examens, dont une investigation exhaustive de son système gastro-intestinal qui s’est révélée normale ou banale. C’est dans ce contexte que l’intervention chirurgicale a été réalisée, non pas parce que le patient avait reçu un diagnostic de maladie de Hodgkin, mais précisément parce qu’aucun diagnostic n’avait été émis. Les ganglions lymphatiques abdominaux et le foie ont été biopsiés et la rate enlevée, non pas parce que le patient avait reçu un diagnostic de maladie de Hodgkin, mais parce qu’il était cliniquement malade, que sa santé se détériorait et parce qu’aucun diagnostic n’avait été émis.
  4. Était-il approprié (la norme de soins de l’époque était-elle respectée?) de procéder à une laparotomie exploratrice sans d’abord avoir effectué la biopsie du ganglion lymphatique prévue?

    Le meilleur jugement médical que je pourrais émettre est qu’il était catégoriquement approprié et conforme à la norme de soins en vigueur à l’époque de procéder à une laparotomie exploratrice sans d’abord avoir effectué la biopsie du ganglion lymphatique prévue. Je crois avoir abordé les questions relatives à ce sujet au point h et au point 2 ci-dessus.
  5. Même si le fait de procéder à la laparotomie était conforme à la norme de soins, était-il approprié d’enlever la rate à ce moment?

    Je crois qu’il était approprié et conforme à la norme de soins d’avoir procédé à la laparotomie. À mon avis, il était également approprié d’enlever la rate. La décision d’enlever la rate d’un patient n’est jamais facile à prendre et devrait toujours être prise à la suite d’une mûre réflexion. Une splénectomie peut cependant apporter des renseignements diagnostiques importants pouvant sauver des vies, notamment en ce qui concerne un diagnostic confirmé de malignité.

    Lors de plusieurs évaluations cliniques de ce patient, on avait envisagé qu’il se pouvait que la rate du patient ait été anormalement enflée. Il avait aussi remarqué des douleurs abdominales, dont une douleur au quadrant supérieur gauche, et les examens radiologiques avaient suggéré une anomalie dans cette région. Pour toutes ces raisons, mais en particulier parce qu’aucun diagnostic n’avait été émis, la rate a été enlevée afin de tenter d’en établir un. Il est important de dire qu’une biopsie splénique n’est pas une intervention médicale de routine et, par conséquent, si la rate requiert d’être examinée histologiquement, il est presque toujours nécessaire de l’enlever.
  6. Quelles sont les conséquences physiologiques d’une splénectomie? Par exemple, le patient est-il plus susceptible de contracter des infections, le rhume, la grippe, une pneumonie, etc.?

    En effet, la principale conséquence pathophysiologique d’une splénectomie est une susceptibilité accrue de contracter des infections, particulièrement avec certains types de bactéries. Le patient est donc plus susceptible de contracter certaines infections respiratoires bactériennes, notamment un rhume ou une pneumonie, mais aussi certaines infections sanguines, dont la sepsie pneumococcique. À ma connaissance, une splénectomie ne rend pas un patient plus susceptible de contracter la grippe.
  7. Y a-t-il d’autres renseignements médicaux que vous estimeriez utiles au Tribunal pour trancher sur cette affaire?

    Non.

    N’hésitez surtout pas à communiquer avec moi si mon évaluation n’est pas claire ou si j’ai mal compris les questions et les problèmes mis en évidence.

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