Dr Dorreen - Avis Médical Indépendant

État Adénocarcinome du côlon (agent Orange)
Date de production 11 octobre 2012
Nom du médecin Dr Mark S. Dorreen, M.D., FRCP(Lond), FRCPC, FACP

1. Contexte

L’appelant était enrôlé dans la Force régulière des Forces armées canadiennes : il a été militaire en service actif du 12 septembre 1961 au 29 juin 1970, puis réserviste du 16 mars 1972 au 24 novembre 1976. Il a été libéré honorablement les deux fois, en 1971 et en 1976, et a quitté les Forces armées avec le rang de caporal.

À l’exception d’une période de six mois en service spécial à Chypre, l’appelant était basé à la BFC Gagetown, au Nouveau Brunswick, de septembre 1961 à juin 1968. C’est un fait connu qu’il a participé à des exercices de campagne en juin 1966 et en juin 1967, alors que des essais de pulvérisation aérienne de l’agent Orange étaient effectués dans les environs. À aucun moment pendant cette période l’appelant n’a signalé de problème de santé important.

2. Diagnostic de lymphome malin et de carcinome du côlon

En mai 2005, l’appelant remarque la présence d’une bosse à l’aine gauche qu’il pense d’abord être une hernie. Cependant, cette masse continue de grossir jusqu’à ce que, le 23 juin, une biopsie chirurgicale de la masse soit réalisée, confirmant le diagnostic de lymphome malin. Après un examen histopathologique approfondi, l’affection est définie comme étant un lymphome diffus à grandes cellules B, soit un lymphome non hodgkinien (LNH) ayant évolué à partir d’un LNH folliculaire de bas grade.

Aucune preuve de dissémination du lymphome n’est trouvée lors de sa stadification par tomodensitométrie, alors celui-ci est considéré comme une tumeur localisée (stade I). L’appelant est vu en consultation par le Dr Richard Van Der Jagt, hématologue à l’Hôpital d’Ottawa, en Ontario. Une fois tous les renseignements nécessaires recueillis, le patient reçoit huit cycles de polychimiothérapie à base de cyclophosphamide (Cytoxan), d’Adriamycin (hydroxydaunomycine, doxorubicine), de vincristine (Oncovin) et de prednisone, conjointement avec le rituximab (Rituxan), un anticorps monoclonal ciblant les cellules B, selon un protocole de traitement désigné par l’acronyme « R CHOP ».

Ce traitement est administré du mois d’août 2005 à la fin de janvier 2006, puis, en février 2006, un nouveau tomodensitogramme est obtenu afin de mettre à jour le stade du lymphome. L’examen d’imagerie montre un épaississement du cæcum, et le Dr Van Der Jagt fait état de la présence de nœuds lymphatiques mésentériques enflés, le plus gros mesurant plus de 2 cm. En raison de ces nouveaux éléments, l’appelant est orienté vers une coloscopie, laquelle est effectuée le 16 mars. La coloscopie confirme la présence dans le cæcum d’une masse dont l’examen histopathologique permet de diagnostiquer un adénocarcinome moyennement différencié.

Le 17 mai 2006, une hémicolectomie droite par laparoscopie est pratiquée sur l’appelant par le Dr Boushey à l’Hôpital d’Ottawa. Pendant l’intervention chirurgicale, deux nodules fermes sont trouvés dans le foie, mais la biopsie de l’un d’eux ne révèle pas de malignité. Bien que le rapport histopathologique officiel ne soit pas fourni parmi les documents soumis aux fins d’examen, on trouve un commentaire émis le 12 juillet 2006 par le Dr Christine Cripps, oncologue médicale à l’Hôpital d’Ottawa, qui indique que le carcinome du côlon est alors classé au stade T4N2, avec atteinte métastatique de 5/14 nœuds lymphatiques péricoliques retirés.

À la lumière du diagnostic probable de métastases au foie, le Dr Cripps recommande une polychimiothérapie composée de 5 fluorouracil (5 FU), d’acide folinique et d’oxaliplatine, un protocole généralement désigné par l’acronyme « FOLFOX ». Le traitement débute en août, mais un mois plus tard, l’évolution clinique se complique en raison d’une embolie pulmonaire qui doit être traitée au moyen de l’anticoagulant Fragmin. De plus, une nouvelle tomodensitométrie montre des preuves d’atteinte importante du foie par des métastases dont la résection chirurgicale est jugée impossible.

À la fin d’octobre 2006, les résultats montrent que les métastases aux foie ont progressé de manière significative, et la chimiothérapie en cours est remplacée par une association de 5 FU, d’acide folinique et d’irinotécan (Camptosar), soit le protocole FOLFIRI.

La dernière entrée du Dr Cripps au dossier, lequel est compris dans la documentation fournie, remonte au 19 décembre 2006, et à ce moment l’appelant semblait bien tolérer le traitement de chimiothérapie en cours. Cependant, il est attesté que l’appelant est décédé d’un carcinome métastatique du côlon le 9 juillet 2006.

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3. Demandes de droit à pension / appels ultérieurs auprès du Tribunal des anciens combattants (révision et appel)

i) Demande de droit à pension – lymphome non hodgkinien (LNH)

Une demande de droit à pension est présentée en mars 2006, mais, dans une décision d’Anciens Combattants Canada (ACC) datée du 29 mai 2006, cette demande est refusée au motif que, malgré les preuves d’une association entre l’exposition à l’agent Orange et un risque accru de LNH, la preuve que l’appelant avait bien été exposé à l’agent Orange est jugée insuffisante.

Une demande de révision de la décision est ensuite présentée, et, après examen du dossier étayé par la solide contribution du Dr Van Der Jagt, la décision antérieure est renversée. Le droit à pension est donc accordé en février 2007, avec effet rétroactif au mois de mars 2006, soit la période correspondant au dépôt initial de la demande par l’appelant. Le renversement de la première décision était basé sur les éléments suivants : a) la preuve que l’appelant avait pris part à des exercices de campagne les jours de 1966 et de 1967 où l’agent Orange avait été pulvérisé dans les environs; b) l’affirmation du Dr Van Der Jagt selon laquelle la condition exigeant de prouver le contact direct avec l’agent Orange était impossible à respecter; c) le fait que les dioxines, des contaminants de l’agent Orange, peuvent rester longtemps dans l’environnement avant de se dégrader; d) le fait que le département des Anciens combattants des États Unis avait déjà clairement recommandé que les vétérans présentant un lymphome malin devraient recevoir une indemnisation, qu’il y ait eu contact direct ou non avec l’agent Orange.

ii) Demande de droit à pension – adénocarcinome du côlon

Une demande de droit à pension supplémentaire pour le diagnostic de carcinome du côlon avait été présentée en même temps que la demande relative au LNH, mais elle est refusée dans une décision d’ACC datée du 29 mai 2006, faute de preuve suffisante d’une association entre le cancer du gros intestin et l’exposition à l’agent Orange.

La décision de ne pas accorder d’indemnisation est ensuite confirmée dans une décision rendue en audience le 17 octobre 2007 par un comité de révision de l’admissibilité au droit à pension. Un appel lancé par la veuve de l’appelant en septembre 2008 est rejeté par manque de preuve crédible d’une association entre le carcinome du côlon et l’agent Orange. De plus, il est admis que l’Institute of Medicine des États-Unis a établi l’absence de preuves suffisantes liant l’agent Orange au cancer du côlon.

Une autre demande de droit à pension est présentée par la veuve en 2009, au motif que le cancer du côlon était une conséquence du LNH ouvrant déjà droit à pension, mais cette demande est refusée dans une décision d’ACC datée du 7 octobre 2009. Lors d’une audience du comité de révision tenue le 29 juin 2009, la décision initiale du Ministère est confirmée : dans les deux cas, la raison évoquée était que l’adénocarcinome du côlon ne constituait pas une conséquence directe du LNH ouvrant droit à pension.

Un nouvel appel est déposé en octobre 2011 par l’avocat-conseil régional au nom de la veuve de l’appelant, et fait actuellement l’objet d’un processus officiel continu. Un avis médical indépendant a été demandé.

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4. Association entre l’agent Orange et l’adénocarcinome du côlon

Le lien entre l’exposition à l’agent Orange et le cancer a fait l’objet de nombreuses études réalisées auprès d’anciens combattants revenus de la guerre du Vietnam, y compris le personnel militaire ayant participé à la préparation et à la pulvérisation aérienne de l’agent Orange dans le cadre de l’opération « Ranch Hand », de survivants d’accidents industriels importants associés à la libération de quantités significatives de dioxines, comme la catastrophe de Seveso, survenue en Italie en 1976, ainsi que de travailleurs employés dans une vaste gamme de professions potentiellement dangereuses.

Aucune étude n’établit ou ne suggère l’existence d’un lien entre l’agent Orange et une incidence accrue du cancer colorectal. Un examen des risques cancérigènes de l’agent Orange, réalisé par Frumkin pour l’American Cancer Society, a été publié en 2003(1) et est mis à jour périodiquement par l’American Cancer Society(2). L’Institute of Medicine (IOM) des États-Unis, une division de la National Academy of Sciences, a défini quatre catégories d’association probable entre le diagnostic de cancer et l’exposition à l’agent Orange :

  1. Preuves suffisantes d’une association
  2. Preuves limitées ou suggestives d’une association
  3. Preuves inadéquates ou insuffisantes d’une association
  4. Preuves limitées ou suggestives d’une absence d’association

Les cancers diagnostiqués dans les 30 ans suivant l’exposition à l’agent Orange qui rendent admissible aux indemnités fédérales sont ceux qui appartiennent aux catégories 1 et 2, notamment le lymphome malin, la leucémie lymphoïde chronique et le sarcome des tissus mous (catégorie 1) ainsi que les cancers du poumon et de la prostate (catégorie 2). Les affections gastrointestinales malignes, comme le cancer colorectal, sont classées dans la catégorie 4 et ne font pas l’objet d’une indemnisation.

Dans les documents rendus disponibles dans le cadre de cet avis médical indépendant, une publication relevant un risque accru d’adénocarcinome du petit intestin dans certaines professions était citée(3). Dans cette étude multinationale européenne, il semblait y avoir un risque significativement plus élevé de cancer du petit intestin chez les travailleuses agricoles; cependant, aucune association accrue avec l’utilisation d’herbicide n’a été établie, que ce soit dans ce groupe ou dans toute autre catégorie professionnelle. Il convient également de signaler que, même si les cas témoins étaient tirés de la population générale, ces derniers comptaient aussi une cohorte de 579 patients présentant un cancer du côlon (gros intestin) étant donné que, comme en discutaient les auteurs de la publication, « il n’y a pas de forte indication que des facteurs de risques professionnels soient associés à cette maladie » [traduction].

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5. Association entre le lymphome non hodgkinien et l’adénocarcinome du côlon

Plusieurs études publiées ont démontré l’existence d’un lien entre les survivants traités pour un lymphome de Hodgkin ou un lymphome non hodgkinien (LNH) et un risque accru de développer des tumeurs malignes secondaires (TMS) par la suite. Ces TMS comprennent les affections malignes hématologiques, p. ex. la leucémie myéloblastique aiguë, et les cancers non hématologiques (ou « tumeurs solides »). En fonction du rapport publié, les risques sont attribués à l’affection elle-même, à son traitement, habituellement la chimiothérapie cytotoxique, ou aux deux.

Un risque statistiquement significatif de TMS de type « tumeur solide » chez les patients ayant survécu à un LNH est signalé dans plusieurs publications(4,5,6,7,8,9,10). Ces études sont généralement basées sur un grand nombre de patients recensés dans les registres nationaux du cancer(4,7,8,9) ou qui se sont inscrits à des essais cliniques(5,6), et l’une de ces études est une méta analyse de 23 études différentes publiées(10). De plus, dans une étude du Royaume-Uni(11), une tendance suggérant une association entre les TMS et les LNH agressifs de stade élevé avait été relevée, mais les résultats arrivaient juste sous le seuil de la signification statistique.

Dans certaines études, un risque faible mais statistiquement accru de cancer colorectal a été rapporté(4,10), tandis que dans d’autres, une tendance statistiquement non significative a été observée(5,6,7,9,12). Dans une étude basée sur les données du registre SEER des États Unis(9), une association statistiquement significative était établie avec un diagnostic antérieur de leucémie lymphoïde chronique ou de lymphome à petits lymphocytes, mais pas avec celui de lymphome diffus à grandes cellules B. Dans une étude de grande envergure portant sur des patients traités selon les protocoles du groupe British National Lymphoma Investigation, une association statistiquement significative avec le cancer colorectal a été constatée seulement chez les patients qui avait reçu le traitement CHOP, et, dans ce groupe, le taux d’incidence standardisé correspondait au double du risque de référence(5). Aucun lien similaire avec un traitement intensif n’a été observé dans d’autres études et, en effet, dans la méta-analyse de Pirani et coll.(10), l’association entre le cancer colorectal et la chimiothérapie de type CHOP n’atteignait pas le seuil de la signification statistique.

D’autres facteurs possiblement associés à un risque significativement accru de TMS sont le sexe masculin(4,5,8) et un âge inférieur à 60 ans(6,7,10,12), mais au moins deux études n’étayaient pas ce lien(4,5). Dans une étude conduite par l’Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer (EORTC)(6), le risque global de cancer colorectal à la suite d’un diagnostic de LNH était non significatif. Cela dit, parmi le sous-ensemble des patients de moins de 45 ans ayant reçu un diagnostic de LNH, trois d’entre eux ont développé un cancer colorectal par la suite, faisant augmenter le taux d’incidence standardisé à 12,5. Les intervalles de confiance à 95 % étaient toutefois très larges (2,6 - 36,5), et aucune autre statistique similaire n’a été citée dans les autres études.

Afin d’exclure de l’analyse les patients atteints d’un LNH avec un diagnostic de TMS coïncident ou simultané, toutes les études, sauf une(7), ont clairement indiqué comme critère d’inclusion un délai minimal à partir du diagnostic de LNH. Le délai minimal était de six mois(6,11) jusqu’à un ou deux ans (4,9), ou à partir de la fin du traitement. Une étude britannique précisait une période plus courte, soit deux mois à partir de la date du premier traitement(5). Une fois analysé, le délai médian entre le diagnostic de LNH et celui de TMS variait entre 4,4 et 7,5 ans, et les valeurs s’étendaient de 1 à 14 ans(4,6,8,12). Dans la plupart des cas, le risque de TMS persistait au moins deux décennies après le diagnostic de LNH, avec un risque cumulatif se situant entre 10,5 % pour 10 ans de suivi(8) et 19-21 % pour 20 ans(4,6).

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6. Opinion et conclusions

Le carcinome colorectal est un cancer courant, et on estime que 23 300 nouveaux cas seront diagnostiqués en 2012 au Canada, ce qui le classera au troisième rang des affections malignes les plus répandues après le cancer du poumon et le cancer de la prostate(13). Cependant, cette maladie sera également associée à 9200 décès, ce qui en fait donc la deuxième cause de mortalité due au cancer après le cancer du poumon. Les facteurs associés à un risque accru de cancer colorectal ont été abondamment étudiés. Dans un petit nombre de cas, il s’agit de caractères génétiques héréditaires évidents, par exemple la polypose adénomateuse familiale ou le cancer colorectal héréditaire sans polypose (syndromes de Lynch I et II). Il existe aussi une association claire avec les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, à savoir la rectocolite hémorragique et la maladie de Crohn. D’autres facteurs de risque ont été avancés, tels que la sédentarité, un régime pauvre en fibres ou la consommation excessive d’alcool, mais, dans la majorité des cas, aucun n’a pu être clairement déterminé. Cela dit, il est généralement admis que la plupart des cancers du côlon découlent de la transformation maligne d’un polype adénomateux bénin. Souvent, dans ces cas-là, des polypes étaient présents depuis plusieurs années avant que l’un d’eux subisse une transformation maligne. Cette situation est conforme à la théorie de la cancérogenèse multi-étapes, selon laquelle la plupart des cas de cancers colorectaux sont le résultat de plusieurs mutations bien décrites des oncogènes ainsi que de la délétion ou de la mutation des gènes suppresseurs de tumeur dans des cellules précancéreuses(14). Il s’agit normalement d’un processus de longue durée, et c’est ce fait qui a motivé la mise en place de programmes provinciaux de dépistage du cancer colorectal au Canada ces dernières années.

Les preuves appuyant ou contredisant une association entre le cancer du côlon et l’agent Orange ou le LNH sont présentées et analysées ci dessus. L’agent Orange est un défoliant composé de deux phytohormones herbicides, d’acide dichlorophénoxyacétique (2,4 D) et d’acide trichlorophénoxyacétique (2,4,5 T). Pendant sa fabrication, l’acide 2,4,5 T était accidentellement contaminée par de petites quantités de dioxines, notamment la 2,3,7,8 tétrachlorodibenzo p dioxine (2,3,7,8 TCDD), considérée comme la plus toxique et potentiellement cancérigène des dioxines. En raison de la pulvérisation aérienne à grande échelle de l’agent Orange par les forces armées américaines pendant le conflit avec l’Asie du Sud-Est, du milieu à la fin des années 1960, de nombreux membres du personnel militaire ont été exposés à ce produit chimique. Dans les années qui ont suivi la fin des hostilités, des demandes d’indemnisation reliées à diverses maladies, notamment différents cancers, ont été déposées auprès de l’administration des anciens combattants aux États-Unis. Il est également bien connu que, à la même époque, des essais de pulvérisation ont été effectués à la BFC Gagetown, au Nouveau Brunswick, ce qui a mené au dépôt de demandes similaires par des anciens militaires du Canada.

Tel que discuté, une tendance suggérant un risque accru de développer certains cancers, notamment le LNH, a été liée à l’exposition à l’agent Orange, et les cas concernés font maintenant l’objet de demandes approuvées de prestations ouvrant droit à pension, tant aux États Unis qu’au Canada. Toutefois, malgré le suivi de 40 ans depuis la fin du conflit au Vietnam, aucune étude n’a encore établi de lien entre l’agent Orange et un risque accru de cancer du côlon ou du rectum. Par conséquent, ces types de cancer ne font pas l’objet d’indemnisations. À mon avis, cela rendrait indéfendable toute demande de l’appelant à cet égard.

En ce qui a trait à l’association possible entre le diagnostic préexistant de LNH de l’appelant et son diagnostic ultérieur d’adénocarcinome du côlon, on se rappellera que la première indication de cette pathologie était basée sur une tomodensitométrie de l’abdomen, réalisée alors que le patient achevait une chimiothérapie contre son LNH, soit dans les six mois suivant le début du traitement. Le diagnostic a ensuite été confirmé par une coloscopie, et le patient a subi une résection chirurgicale puis commencé un traitement de polychimiothérapie qui n’a malheureusement pas réussi à freiner la progression inexorable de cette affection maligne. L’appelant est décédé moins d’un an après le début de sa chimiothérapie.

Comme nous l’avons vu ci-dessus, les preuves d’une association significative entre le LNH et un risque accru de cancer colorectal ne sont pas cohérentes d’une étude à l’autre. Toutefois, la méta-analyse de Pirani et coll.(10) montre bien un risque accru, faible mais statistiquement significatif. La plupart des études conviennent que le risque est le plus élevé chez les jeunes patients de sexe masculin. La relation entre le diagnostic et le traitement de chimiothérapie qui l’a précédé n’est pas bien établie, car une seule étude signale l’existence d’un lien entre le cancer et le protocole de chimiothérapie R CHOP. Dans la méta analyse, toutefois, cette donnée n’était pas statistiquement significative. Dans le cas de l’appelant, il est tout à fait plausible que les effets cytotoxiques du protocole R CHOP aient réprimé la manifestation clinique de son cancer du côlon jusqu’à ce que la chimiothérapie soit terminée.

Afin d’exclure une association fortuite entre deux affections malignes distinctes, soit un LNH et une TMS, la plupart des publications précisaient un délai minimal entre les deux diagnostics. Une fois analysé, ce délai minimal était d’une durée d’un an avant le diagnostic de TMS. Une période d’un an ou plus serait certainement cohérente avec l’évolution naturelle de nombreuses tumeurs solides, qui tendent à progresser relativement lentement si on les compare à des lymphomes agressifs ou à des leucémies aiguës. Pour toutes ces raisons, il serait entièrement rationnel de suggérer que le carcinome du côlon de l’appelant évoluait déjà à un niveau subclinique lorsque le diagnostic de LNH a d’abord été établi. Étant donné le processus cancérogène relativement long qui mène à l’apparition clinique du cancer du côlon, je crois peu probable l’existence d’un lien de causalité avec le diagnostic de LNH ou la chimiothérapie reçue pour le traiter.

En résumé, les renseignements et les preuves se rapportant à une possible association tant entre l’agent Orange et l’adénocarcinome du côlon qu’entre le lymphome malin et l’adénocarcinome ont été présentés et examinés. Certaines des publications utilisées comme références avaient également été étudiées par le Dr Van Der Jagt, et il a été fait mention de celles-ci le cas échéant. Toutes les publications citées proviennent de revues scientifiques réputées et dotées d’un comité de lecture.

Compte tenu de toutes ces preuves, je suis d’avis et je conclus qu’il n’y a pas de lien de causalité entre l’agent Orange et le carcinome du côlon. Quant à la relation entre le diagnostic de lymphome malin et celui de carcinome du côlon présenté dans le cas de l’appelant, elle devrait elle aussi être considérée comme le fruit du hasard. Autrement dit, le LNH et le cancer du côlon sont, selon moi, deux affections malignes simultanées et indépendantes.

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Références

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  2. Agent Orange and cancer
    American Cancer Society (June 2010)
    www.cancer.org/Cancer/CancerCauses/OtherCarcinogens/1nTheWorkplace/agent-orange
  3. Occupation and small bowel adenocarcinoma: A European case-control study Kaerlev, L, Teglbjaerg, PS, Sabroe, S, Kolstad, HA, Ahrens, W, Eriksson, M, Gonzalez, AL, Guenel, P, Hardell, L, Launoy, GT, Marler, E, Merletti, f, Morales Suarez-Varela, MM & Stang, A (2000)
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Mark S. Dorreen, M.D., FRCP(Lond), FRCPC, FACP, oncologue médical
Professeur agrégé de médecine
Université Dalhousie
Queen Elizabeth II Health Sciences Centre, Halifax (Nouvelle-Écosse)

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