Dr Cupido - Avis Médical Indépendant

État Carcinome de la zone palato-glosse gauche de la cavité buccale (exposition aux rayonnements)
Date de production 27 septembre 2004
Nom du médecin Cupido Daniels, Ph. D., FCCPM, Professeur de radiologie

Je vous remercie de me permettre de commenter ce cas controversé. Je limiterai mes commentaires aux faits, selon mon expertise en physique de la radiologie diagnostique et en sûreté radiologique. En résumé, je suis actuellement responsable du département de physique de la radiologie diagnostique à la Régie régionale de la santé Capital et professeur de radiologie à l’Université Dalhousie, à Halifax en Nouvelle Écosse. Je suis aussi titulaire de postes universitaires en radiologie à l’Université d’Ottawa ainsi qu’à l’Université Memorial de Terre-Neuve. De plus, je suis certifié par le Collège canadien des physiciens en médecine pour une expertise en physique appliquée à la médecine.

Pour me préparer à soumettre ce rapport, j’ai lu toute la documentation qui m’a été fournie par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (ci-après, le Tribunal), en m’appuyant sur mes 25 années d’expérience en sûreté radiologique et en physique de la radiologie diagnostique ainsi que sur la lecture de plus de 500 articles publiés traitant du sujet qui nous concerne.

Plus particulièrement, le Tribunal m’a demandé de fournir mon avis sur trois points précis afin de clarifier certains aspects du cas.

POINT A

De mon point de vue, le calcul du niveau de rayonnements auquel l’appelant a été exposé est-il juste?

RÉPONSE A

Les deux enjeux relatifs à cette question sont :

  • la source des données,
  • la précision des données recueillies.

Pour le premier enjeu, la documentation fournie présente clairement les mesures enregistrées de 940 mrem qui ont été obtenues lors des périodes d’exposition au site d’essai du Nevada. Je n’ai aucun problème avec la source de ces renseignements. Au cours des premiers jours de cet appel, il a été question des unités physiques associées au nombre physique. Cependant, je suis satisfait que l’unité exacte, le « mrem », ait été adoptée de façon générale. L’unité moderne est le mSv, 1 mrem = 0,01 mSv, donc 940 mrem = 9,4 mSv.

Je suis moins certain de la source de la documentation fournie au sujet des évaluations radiologiques du site de Maralinga. La seule documentation à ma disposition était constituée de 2 feuilles affichant des noms et les niveaux d’exposition aux rayonnements au travail, sans aucune indication relativement à la source de ces informations. L’en-tête des feuilles était censuré afin que je ne puisse pas distinguer les caractères. Si le Tribunal est en mesure de fournir davantage de renseignements qui indiquent précisément que les données qui apparaissent dans ces documents proviennent du laboratoire de recherche sur la radiologie de la Royal Air Force, alors je peux convenir que le niveau de rayonnements de 460 mrem (ou 4,6 mSv) auquel l’appelant a été exposé lors des expériences menées à Maralinga est plausible. Si tel est effectivement le cas, alors je tiens à mettre en lumière que des 16 soldats canadiens qui ont participé à ces expérimentations, 3 présentaient des niveaux d’exposition supérieurs à 2000 mrem (ou 200 mSv) ce qui correspond à 4 fois le niveau reçu par l’appelant.

Le deuxième enjeu relatif à cette question concerne l’exactitude des données recueillies, c’est-à-dire, si ces données reflètent avec précision la quantité de rayonnements à laquelle l’appelant a été exposé. En prenant en compte les variations spatiales dans les incidents radiologiques sur le corps et le fait qu’une seule partie du corps est surveillée par les moniteurs de rayonnement, les mesures d’exposition aux rayonnements au travail, dans le meilleur des cas, ne sont qu’un indice de la quantité de rayonnements reçue par une personne. De plus, dans les années 1950, les films étaient utilisés pour mesurer le niveau d’exposition du personnel, malgré tous leurs défauts physiques intrinsèques en tant que moniteurs de rayonnements. En tenant compte de ces faits, il n’est pas déraisonnable de penser que le véritable niveau de rayonnement auquel l’appelant a été exposé pourrait varier de plus ou moins 50 %, ce qui signifie que le niveau d’exposition professionnelle de 14 mSv enregistré lors des expériences (Nevada = 9,4 mSv et Maralinga = 4,6 mSv) pourrait en réalité atteindre 21 mSv. Traditionnellement, par mesure de précaution, les calculs relatifs à la sûreté radiologique sont faits en fonction de l’estimation la plus élevée. Par conséquent, j’ai choisi la quantité de 21 mSv comme base des calculs pour l’examen des autres enjeux qu’on m’a demandé de clarifier. Cependant, pour mettre ce nombre en contexte, il se rapproche de la dose maximale annuelle acceptable (qui est de 20 mSv) pour les travailleurs soumis au rayonnement, au Canada.

En résumé, en me basant sur les mesures d’exposition aux rayonnements fournies, je peux dire que l’estimation du Tribunal quant à la quantité de rayonnements reçue est probablement correcte, mais il est probable qu’elle ne représente pas la véritable quantité de rayonnements à laquelle l’appelant a été exposé. Aux fins de discussions futures, j’ai accepté que la quantité de rayonnements puisse, dans les faits, s’avérer jusqu’à 50 % supérieure à celle indiquée par les mesures enregistrées.

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POINT B

Le chapitre en annexe tiré du Textbook of Cancer Epidemiology, représente-t-il le consensus sur la relation entre l’exposition aux rayonnements et le cancer de la cavité buccale?

RÉPONSE B

Il n’y a pas de réponse directe à cette question. Je n’ai pu trouver de littérature publiée qui répond à cette question de façon aussi directe que les auteurs de ce manuel. Je n’ai pas non plus trouvé de publication qui affirme catégoriquement que l’exposition externe aux rayonnements contribue à l’apparition de cancers oropharyngiens.

Face à ce problème, j’ai effectué des recherches sur l’incidence du cancer et les taux de mortalité des cancers de la cavité buccale chez les populations qui sont (ou ont été) régulièrement exposées à des quantités de rayonnements similaires au niveau estimé à la hausse qu’aurait reçu l’appelant. Ces populations comprennent :

(1) Les patients qui subissent des tomodensitométries radiologiques par ordinateur de la zone ORL (oreilles, nez et gorge). La tomodensitométrie est une procédure d’imagerie par rayons X qui a été utilisée pour la première fois en 1972. La dose typique de rayonnements absorbée au cours d’un examen de la tête et du cou varie entre 20 et 50 mSv, selon les facteurs techniques utilisés pour obtenir les images. Mon estimation revue à la hausse du niveau total d’exposition de l’appelant est donc similaire à la quantité limite inférieure reçue par les patients au cours des tomodensitométries de la tête et du cou, qui est habituellement émise en quelques secondes seulement.

Dans mon district médical qui sert de centre d’aiguillage pour le Canada atlantique en ce qui a trait à radiologie en ORL, environ 50 tomodensitométries de la région ORL sont effectuées chaque semaine. J’estime que plus de 10 000 examens de ce type sont réalisés annuellement au Canada. Étant donné que la tomodensitométrie a été introduite comme méthode d’imagerie par rayons X il y a plus de 30 ans, ce qui est supérieur à la période de latence de la plupart des cancers causés par les rayonnements, une augmentation des cancers oropharyngiens aurait dû être observée au cours des 10 à 30 dernières années si ces quantités de rayonnement causaient effectivement des cancers de la cavité buccale. Les statistiques sur le cancer établies entre 1991 et 1998 par l’Institut national du cancer du Canada montrent que l’incidence et les taux de mortalité ajustés selon l’âge pour les cancers oropharyngiens chez les hommes ont diminué d’environ 3,5 % au cours de la période précédente semblable. Ce qui m’amène à conclure qu’il n’existe pas de relation de cause à effet entre l’exposition à des rayonnements de l’ordre de 20 à 50 mSv et les cancers oropharyngiens.

(2) La deuxième population que j’ai examinée est celle des travailleurs qui sont exposés aux rayonnements dans le cadre de leurs fonctions. Jusqu’à très récemment, la dose maximum annuelle acceptable pour les travailleurs soumis au rayonnement était établie à 50 mSv. Après avoir réévalué les données enregistrées chez les survivants des bombardements atomiques au Japon, la dose a ensuite été réduite à 20 mSv. Il n’y a aucun doute que l’incidence de certains cancers est supérieure chez les premiers travailleurs soumis au rayonnement. Une étude très récente (septembre 2004) montre que les résultats d’une méta-analyse ont révélé un taux accru de leucémie, de cancer du sein et de mélanome chez les travailleurs d’avant 1950, période pendant laquelle les doses maximales acceptables étaient de 30 000 mSv, puis 300 mSv. Une autre étude démontre une augmentation de 5 % de tous les types de cancers par dose cumulative de 10 mSv chez les travailleurs du laboratoire national d’Oak Ridge qui étaient âgés de 45 ans ou plus au moment où ils ont été exposés aux rayonnements. J’ai consulté plus de 20 études portant uniquement sur ce sujet, et de ce nombre, aucune ne démontrait d’augmentation des taux de cancer depuis que les doses de rayonnement maximales acceptables ont été réduites à 50 mSv. Aucune étude (même avant 1950) ne rapportait de lien entre l’augmentation des cancers oropharyngiens et l’exposition externe chez les travailleurs soumis au rayonnement.

Les membres des équipages de conduite des avions constituent un autre groupe de travailleurs qui ne sont pas classés comme des travailleurs soumis aux rayonnements, mais qui, au quotidien, reçoivent de plus grandes quantités de rayonnements dans le cadre de leurs fonctions que les travailleurs sous rayonnement. Dans une étude examinant un équipage de conduite allemand (1960 à 1997), il a été déterminé que certains des membres de l’équipage avaient reçu une dose équivalente efficace de 80 mSv, qui provenait principalement des rayons cosmiques. L’étude ne rapporte aucun effet néfaste sur la santé des membres de l’équipage de conduite allemand.

(3) La troisième population que j’ai examinée était les survivants des bombardements atomiques survenus au Japon. Plus particulièrement, je me suis concentré sur l’étude réalisée par la Radiation Effects Research Foundation (une fondation de recherche sur les effets des rayonnements), qui porte sur la durée de vie des survivants ayant reçu une dose équivalente efficace estimée supérieure à 5 mSv (la dose équivalente efficace moyenne des survivants a été estimée à 200 mSv). Des 4687 décès attribuables au cancer qui sont survenus des suites de cancers autres que la leucémie, on estime que 7 % de ces morts (339) ont été causées par l’exposition aux rayonnements. Il s’agissait principalement de cancers du poumon, de l’estomac, du sein, du foie et colorectaux. Cependant, il n’y a aucune mention d’un nombre accru de cancers oropharyngiens dans cette population qui a reçu, en moyenne, une dose équivalente efficace de 200 mSv, soit 10 fois le niveau d’exposition revu à la hausse qu’aurait subi l’appelant.

(4) La quatrième population que j’ai examinée est constituée de personnes vivant dans des régions qui présentent une radioactivité naturelle très élevée. Le niveau moyen mondial de radioactivité naturelle est établi à 2,4 mSv par année (il varie habituellement de 2,5 à 3,0 mSv en Amérique du Nord). Cependant, dans le monde, il existe de nombreuses régions qui ont une radioactivité naturelle anormalement élevée. C’est le cas, entre autres, de Yanjiang, un district de la Chine, où le niveau moyen est de 6,4 mSv par année. Dans la ville de Ramsar, au nord de l’Iran, le niveau annuel peut atteindre 260 mSv, soit 100 fois la moyenne mondiale. Toutefois, le fait d’examiner étude après étude en cherchant les incidences accrues de cancer, d’aberrations chromosomiques et d’altérations hématologiques chez les habitants ne m’a pas permis d’établir que les niveaux de radioactivité élevés avaient un quelconque effet sur la santé des personnes vivant dans ces régions.

En résumé, aucune preuve ne laisse croire que l’exposition à de faibles niveaux de rayonnements externes (moins de 50 mSv) cause des cancers oropharyngiens et, dans ce sens, l’affirmation des auteurs représente un consensus. Les auteurs sont les seuls à confirmer ce fait aussi directement, mais aucune preuve ne permet de croire le contraire. Toutefois, aux fins de la réalisation, on pourrait inclure l’exposition aux rayonnements provenant de sources internes, causée par des éléments radioactifs. J’ai trouvé une étude qui rapportait une relation dose-effet positive pour les cancers des voies aérodigestives supérieures chez les travailleurs nucléaires qui étaient exposés de manière chronique à des rayonnements internes provenant de l’uranium et des produits mixtes de fission.

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POINT C

Si une tomodensitométrie de l’abdomen (par exemple) qui transmet une dose de rayonnement de 10 mSv représente 1 risque de cancer sur 2000, quel serait le risque correspondant de cancer de la cavité buccale?

RÉPONSE C

L’estimation des risques de cancer liés à de faibles doses de rayonnement est, en soi, plutôt risquée. Les risques de cancer liés à de faibles doses de rayonnement sont extrapolés à partir des effets connus des doses élevées et le modèle conservatif à partir duquel on obtient ces résultats est fondé sur un modèle d’intervention linéaire qui ne tient compte d’aucun seuil d’exposition aux rayonnements. Beaucoup de scientifiques rejettent ce modèle. Un pourcentage souvent cité, établi à partir de ce modèle, est 5 % de risque théorique de cancer par Sv. Ce pourcentage sert de base à « 1 risque de cancer sur 2000 » découlant d’une tomodensitométrie de l’abdomen. S’il s’agissait d’un risque fondé, nous observerions une recrudescence des cas de cancer abdominal au Canada, puisque plus d’un million de tomodensitométries sont effectuées annuellement au Canada. Quoi qu’il en soit, l’oropharynx est relativement insensible aux rayonnements, donc, ma meilleure réponse possible à cette question est que le risque de développer un cancer dans cette région, après avoir été exposé à un niveau de rayonnement de 21 mSv (ce qui est similaire à la dose de rayonnements transmise au cours d’une tomodensitométrie abdominale) dans le corps en entier, réduit grandement le risque d’induction d’un cancer, lequel est impossible à estimer.

En résumé, le risque de développer un cancer oropharyngien en ayant été exposé à une quantité relativement faible de rayonnements (moins de 50 mSv) est négligeable.

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SYNTHÈSE GÉNÉRALE

En m’appuyant sur les faits scientifiques à ma disposition, je peux conclure qu’il n’existe aucune relation de cause à effet entre une exposition à 14 mSv (1400 mrem) de rayonnements externes et l’apparition d’un cancer oropharyngien. Le risque de développer de tels cancers n’est rien en comparaison des relations de cause à effet connues avec d’autres facteurs comme l’alimentation, la consommation d’alcool et le tabagisme.

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