2018-412 Décision

Représentant : S’est représenté lui-même
Décision No : 100003215412
Type de décision : Ordonnance de la Cour fédérale pour la tenue d’une nouvelle audience d’appel d’une décision relative à l’admissibilité
Lieu de l'audition : Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)
Date de la décision : 10 janvier 2018

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Le comité d'appel de l'admissibilité décide :

MALADIE DE PARKINSON

Aucune indemnité d’invalidité n’est accordée pour un service effectué dans la Force régulière en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes.

 

 

 

Membres du groupe :

J.A. Bouchard
Thomas W. Jarmyn
Michelaine Lehaie


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J.A. Bouchard

 

 

NOTA: Traduction officielle de la décision orginale.

 

PRÉSENTATION

Dans une décision datée du 4 juillet 2017, la Cour fédérale a renvoyé la présente affaire devant le Tribunal pour qu’il entende de nouveau la cause1. L’affaire concerne une demande d’indemnité d’invalidité pour la maladie de Parkinson.

L’appelant est âgé de 71 ans. Il a servi dans les Forces canadiennes de 1963 à 1971 et de nouveau de 1973 à 1990. Il a servi pendant un certain temps à la Base des Forces canadiennes (BFC) Gagetown, au Nouveau Brunswick, en juin 1967, alors que les Forces canadiennes procédaient à des essais de pulvérisation d’une substance appelée « agent Orange ». L’agent Orange est un herbicide et un produit chimique défoliant connu pour avoir été utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam.

L’appelant a reçu un diagnostic de maladie de Parkinson vers 1985. En 2011, il a demandé une indemnité d’invalidité en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, en affirmant que sa maladie de Parkinson était attribuable à son exposition à l’agent Orange pendant qu’il servait à Gagetown. Sa demande a été rejetée par Anciens Combattants Canada et par un comité de révision du Tribunal et, finalement, par un comité d’appel le 22 mai 2013.

À la suite du rejet de sa demande de réexamen en octobre 2016, l’appelant a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Cette dernière a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a renvoyé le dossier à un autre comité pour révision.

La Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait commis une erreur en refusant de réexaminer sa décision d’appel. Comme l’a expliqué le juge Boswell, le Tribunal a commis une erreur dans son évaluation de la jurisprudence et dans un rapport d’établissement des faits, communément appelé le « Rapport Furlong », qui présentait une recherche sur l’agent Orange effectuée pour le compte du gouvernement. La décision de la Cour mentionne ce qui suit :

  • [traduction]
  • [32] Il est important de comprendre le contexte de la décision examinée. L’appelant demandait au comité de réexaminer s’il avait droit à des prestations d’invalidité puisque la décision du comité d’appel était fondée sur une erreur d’appréciation de l’affaire McAllister (2014). En vertu du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le rôle du comité consistait à déterminer si la décision du comité d’appel était fondée sur une erreur. La décision du comité d’appel, qui a été rendue avant qu’une décision ne soit prononcée dans l’affaire McAllister (2014), formulait les commentaires suivants :
     
    • Selon ces études, la pulvérisation de l’agent Orange – un herbicide – a été menée dans des conditions strictement contrôlées, dans un secteur inutilisé et éloigné de la Base, et non à proximité d’un secteur résidentiel quelconque.

      Le comité est convaincu que ces études constituent la meilleure preuve disponible pour le moment sur ce qui s’est passé à la BFC Gagetown.
       
  • [33] Lors de la formulation de ces commentaires, le comité d’appel faisait référence au Rapport Furlong. Cependant, la conclusion du comité d’appel selon laquelle l’agent Orange a été pulvérisé dans un secteur « inutilisé » ne peut être déduite du Rapport Furlong, comme l’a conclu la Cour dans l’affaire McAllister (2014). Il s’agit d’une erreur factuelle dans la décision du comité d’appel que ce dernier a négligée ou ignorée. En effet, le Rapport Furlong indique que le secteur où l’agent Orange a été utilisé était éloigné, mais il n’indique pas que le secteur était « inutilisé ». Le Dr Furlong a simplement déclaré dans son rapport qu’il avait été [traduction] « informé par les autorités de la Base que les secteurs spécifiques utilisés par les Américains pour les essais de 1966 et de 1967 n’avaient pas été utilisés depuis par la Base pour effectuer des entraînements officiels ». Cela n’exclut pas la possibilité, comme le soutient le demandeur, que ce secteur ait été utilisé pour l’entraînement durant les activités de pulvérisation en juin 1967. Le Rapport Furlong ne peut constituer une preuve concluante que l’agent Orange a été pulvérisé dans un secteur « inutilisé ». Compte tenu de cette erreur du comité d’appel, il était déraisonnable que le comité en vienne à conclure que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il y avait eu erreur.
     
  • [34] De plus, la décision du comité d’appel selon laquelle le Rapport Furlong était « la meilleure preuve » de ce qui s’était passé à la Base ne peut plus être considérée comme valide au regard de la décision rendue dans l’affaire McAllister (2014). Le comité d’appel s’est appuyé sur cette « meilleure preuve » pour conclure que [traduction] « il n’y a pas plus qu’une mince chance que l’ancien combattant ait été directement exposé à l’agent Orange ». Même si cette conclusion pouvait être raisonnable au moment de la décision du comité d’appel, les conclusions tirées dans l’affaire McAllister (2014) laissaient planer des doutes et, à mon avis, il était déraisonnable que le comité ne réexamine pas cette décision.
     
  • [35] En résumé, le comité a rejeté de manière déraisonnable la demande de réexamen du demandeur sans tenir dûment compte des éléments de preuve dont il était saisi et de la décision rendue dans l’affaire McAllister (2014).

Conformément aux directives de la Cour fédérale, une audience a eu lieu devant un nouveau comité le 10 janvier 2018. L’appelant a décidé de se représenter lui même devant le comité et de débattre sa cause. L’appelant n’a déposé aucune nouvelle preuve.

La présente procédure constitue une audience de novo. Cela signifie que le comité a examiné la demande de l’appelant avec un regard neuf, en se fondant uniquement sur sa propre évaluation indépendante des éléments de preuve déposés devant lui. Le comité n’était lié par aucune des conclusions factuelles tirées par les précédents comités.

QUESTION EN LITIGE

Pour avoir droit à une indemnité d’invalidité, l’appelant doit établir que les exigences énoncées aux paragraphes 45(1) et 2(1) de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes ont été respectées.

En vertu de ces exigences, un appelant peut être admissible à une indemnité d’invalidité si il souffre d’une invalidité résultant d’une blessure ou d’une maladie qui découle de son service dans les Forces canadiennes ou qui est directement liée à ce dernier.

La jurisprudence enseigne que, conformément à ces exigences, l’appelant doit présenter des preuves pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa maladie de Parkinson découle de son service militaire ou est directement liée à ce dernier; en résumé, il doit établir un lien de causalité entre sa maladie et son service militaire2.

De son côté, l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) fournit des directives sur la façon dont les éléments de preuve doivent être évalués. En vertu de cet article, toute conclusion raisonnable doit être tirée et tout doute doit être résolu à la faveur du demandeur lorsque des preuves non contredites et crédibles sont présentées par le demandeur, à moins que l’on constate un manque de crédibilité des constatations3.

La question est donc de savoir si l’appelant a présenté une preuve crédible démontrant que sa maladie de Parkinson a été causée ou aggravée par son service militaire.

ÉLÉMENTS DE PREUVE ET DISCUSSION

La preuve médicale révèle que l’on a détecté des tremblements chez l’appelant durant un examen médical de routine vers 1963. Selon ce rapport, l’appelant souffrait de tremblements depuis son enfance4.

Au milieu des années 1980, les tremblements de l’appelant et ses problèmes connexes ont fait l’objet d’une attention médicale plus soutenue. Les médecins et les neurologues qui ont examiné l’appelant ne s’entendaient pas; certains ont diagnostiqué des tremblements essentiels tandis que d’autres ont jugé que l’appelant présentait suffisamment de symptômes caractéristiques de la maladie de Parkinson pour que cette dernière soit diagnostiquée5.

Un avis médical daté du 19 octobre 20116, rédigé par le Dr Alas, le médecin traitant de l’appelant, a été présenté à l’appui de la demande. La partie essentielle de l’avis se lit comme suit :

[traduction]

“« Au cours des dernières années, la science médicale a examiné les causes héréditaires et environnementales de cette maladie. M. […] n’a pas d’antécédents familiaux en ce qui a trait à la maladie de Parkinson, donc, j’éliminerais l’hérédité comme étant une cause. En ce qui concerne les causes environnementales, il existe suffisamment de preuves pour que l’Institute of Medicine des États-Unis place la maladie de Parkinson sur une liste des maladies pouvant être causées par l’agent Orange.

M. […] était fantassin à la BFC Gagetown lorsqu’une partie de la pulvérisation de l’agent Orange a eu lieu. De plus, les terrains où les troupes s’entraînent ont pu être contaminés subséquemment pendant de nombreuses années. À titre de fantassin, M. […] serait probablement entré en contact avec ces éléments à de nombreuses reprises après la pulvérisation.

Puisque M. […] a reçu précédemment un diagnostic de chloracné, une autre maladie liée à l’agent Orange, je pense qu’il est fort probable que sa maladie de Parkinson soit attribuable à l’utilisation de l’agent Orange à la BFC Gagetown. »

En ce qui concerne l’exposition à l’agent Orange, la preuve est double. D’une part, il y a les déclarations de l’appelant indiquant qu’il a été exposé à ces éléments durant des exercices d’entraînement à la BFC Gagetown et qu’il a vu un hélicoptère pulvériser une brume qui a dérivé vers lui. L’appelant a aussi déclaré qu’il complétait ses rations alimentaires en mangeant du gibier et des baies cueillies dans les buissons, et qu’il buvait de l’eau puisée dans la zone d’entraînement.

D’autre part, certains anciens collègues de l’appelant qui ont servi avec lui au cours de l’été 1967 ont déclaré que le bataillon Black Watch de l’appelant avait pris part à un exercice en campagne de grande envergure dans les jours suivant la pulvérisation de l’agent Orange. Selon certaines déclarations, l’agent Orange a été pulvérisé sur les membres des Forces canadiennes7.

Les arguments de l’appelant sont simples : il soutient que l’arrêt de la Cour fédérale dans l’affaire McAllister c. Canada (Procureur général), 2014 CF 991, établit le bien fondé de sa demande. Il conteste le Rapport Furlong et réitère que ce rapport n’est pas la meilleure preuve pour trancher la question de l’exposition. Il affirme avoir reçu une indemnisation pour sa chloracné, une maladie connue pour être liée à l’exposition à l’agent Orange, et que cette indemnisation établit qu’il se trouvait dans les zones où des pulvérisations ont eu lieu à la BFC Gagetown. Il soutient que l’Environmental Protection Agency des États Unis a indiqué que les dioxines sont très dangereuses, même à des niveaux très bas.

L’appelant admet que, dans la poursuite de sa demande, il n’a pas droit à une compensation financière, puisque le degré d’invalidité dans son cas (100 %) a déjà fait l’objet d’un paiement. Il déclare souhaiter poursuivre cette demande puisqu’il croit qu’il a raison et qu’il s’agit de la chose à faire.

ANALYSE/MOTIFS

Le comité reconnaît les obligations que le peuple et le gouvernement du Canada ont à l’égard de l’appelant, qui a servi son pays. Dans cette affaire, le comité a interprété les dispositions de sa loi habilitante et de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation d’indemniser les vétérans pour les invalidités dont ils souffrent suite à leur service militaire. Pour les motifs exprimés ci-dessous, l’appel est rejeté.

Depuis le milieu des années 1950, les Forces armées et le ministère de la Défense nationale ont eu recours à diverses méthodes, y compris des herbicides chimiques, pour débroussailler la BFC Gagetown. Certains de ces produits contiennent des impuretés de fabrication, dont la dioxine, et ont été vaporisés sur des terrains de la BFC Gagetown. L’agent Orange pulvérisé en 1967 contenait également des impuretés de fabrication 8.

L’appelant a servi à la BFC Gagetown de 1965 à 1971. Il est donc raisonnable de conclure qu’il a été en contact avec des produits chimiques, y compris l’agent Orange. Certaines personnes peuvent développer des problèmes de santé si elles sont exposées à des quantités suffisantes de ces produits chimiques. Néanmoins, il est bien connu que le simple fait de se trouver près d’un produit chimique ou d’avoir travaillé ou servi dans un endroit situé près d’un produit chimique ne constitue pas une exposition dangereuse. La question en l’espèce est de savoir si la preuve présentée par l’appelant, qui soutient que le Parkinson dont il souffre a été causé ou aggravé par cette exposition, est crédible. Le comité conclut que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait.

Pour déterminer si un demandeur a été exposé à un danger de façon suffisante pour causer un problème de santé, il faut généralement tenir compte des éléments de preuve établissant un lien de causalité entre le danger et le problème de santé, du mode et de l’ampleur de l’exposition et de la période de latence. Le caractère équitable des décisions relatives aux indemnités d’invalidité dépend des témoignages raisonnables et crédibles d’experts démontrant la probabilité que l’affection d’un demandeur puisse être raisonnablement attribuée à l’exposition de ce demandeur à un danger.

Pour être crédible, un avis médical ne doit pas nécessairement être long ou compliqué. Dans de précédentes décisions, le Tribunal et les cours fédérales ont permis d’établir que les avis d’experts crédibles sont ceux qui fournissent des antécédents médicaux raisonnablement complets et précis, des renseignements scientifiques et médicaux pertinents concernant l’affection faisant l’objet de la demande et une opinion qui se fonde sur les antécédents et les renseignements médicaux.

La Cour fédérale a pris des décisions sur plusieurs demandes de révision judiciaire de cas liés à une exposition à des substances dangereuses et a fourni une orientation à cet égard.

Dans la décision Jarvis c. Canada (Procureur général), 2011 CF 944, la Cour fédérale a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve puisqu’il n’avait pas fourni de détails sur son exposition à des substances dangereuses ni d’avis médical crédible. La décision mentionne ce qui suit :

Cet avis médical n’est pas concluant quant au lien entre l’exposition à des produits toxiques et l’affection du demandeur. Comme le défendeur le souligne, l’avis du [médecin] repose sur ce que le demandeur lui a dit au sujet de ses antécédents médicaux et du temps qu’il passé dans le local à outils. Il ne renferme aucun détail sur la prétendue exposition ni aucun renseignement sur la nature de celle ci. L’avis du [médecin] est fondé sur un diagnostic d’exclusion, et non sur des recherches scientifiques. Le comité d’appel n’a pas agi de manière déraisonnable lorsqu’il a conclu que cet avis n’établissait pas un lien de causalité.

Dans l’affaire Dumas c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1533, un rapport médical à l’appui de la demande avait été présenté en tant que preuve pour démontrer que diverses toxines avaient causé les affections faisant l’objet de la demande. La Cour a toutefois conclu que le rapport ne suffisait pas pour démontrer le bien-fondé de la demande puisque les recherches sur lesquelles il reposait étaient insuffisantes, qu’il manquait de détail et qu’il ne tenait pas compte des antécédents médicaux du demandeur. La Cour a statué comme suit :

Après examen de la décision du comité et des preuves dont il disposait, je suis convaincue qu’il n’a pas commis d’erreur en confirmant le refus de la demande du demandeur. Les conclusions de fait du comité sont bien fondées sur les preuves devant lui. L’avis médical non concluant fourni par le [médecin] n’a pas établi le lien de causalité requis entre l’invalidité du demandeur et son service militaire.

Dans les affaires Tonner c. Canada (Minister of Veterans Affairs), (1995), 94 F.T.R. 146 et Moar c. Canada (Procureur général), 2006 CF 610, la Cour fédérale a conclu que le Tribunal n’avait pas commis d’erreur en refusant de se fier à des avis médicaux flous ou fondés sur des conjectures.

En l’espèce, la lettre du Dr Alas ne constitue pas un élément de preuve crédible aux fins d’une décision puisque son avis se fonde sur les antécédents fournis par l’appelant lui­même et non sur des antécédents médicaux raisonnablement complets et exacts. Un certain nombre de décisions de révision judiciaire de la Cour fédérale ont établi que les avis médicaux fournis plusieurs années après l’apparition d’une affection faisant l’objet d’une demande ne sont crédibles que s’ils reposent sur des antécédents médicaux raisonnablement complets et exacts qui sont eux-mêmes soutenus par l’ensemble de la preuve, y compris les dossiers médicaux relatifs au service9.

En l’espèce, rien n’indique que le Dr Alas a obtenu les dossiers médicaux relatifs au service de l’appelant ou qu’il savait que ce dernier souffrait de tremblements avant d’être exposé à l’agent Orange au cours de son service militaire. Rien n’indique non plus que le médecin savait que l’appelant avait affirmé que certains membres de sa famille plus âgés souffraient également de tremblements10. Le Tribunal ne sait pas qui a posé le diagnostic de chloracné mentionné par le Dr Alas. Ce diagnostic n’est pas mentionné dans le dossier. Le comité conclut que l’avis du Dr Alas est flou et qu’il ne fournit pas suffisamment de détails pour appuyer ses déclarations.

Le comité a voulu déterminer si l’alinéa 50g) du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes s’appliquait à l’appelant; cet alinéa stipule qu’un vétéran est présumé démontrer, en l’absence de preuve contraire, qu’il souffre d’une invalidité causée soit par une blessure ou une maladie liée au service, soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service, s’il est établi que la blessure ou la maladie, ou leur aggravation, est survenue au cours « de l’exercice, par le militaire ou le vétéran, de fonctions qui l’ont exposé à des risques liés à l’environnement qui auraient raisonnablement pu causer la blessure ou la maladie, ou leur aggravation ».

Néanmoins, même s’il était accepté que des substances toxiques se trouvaient à la BFC Gagetown, où l’appelant a servi de 1965 à 1971, et qu’il était entré en contact avec ces substances par inhalation, ingestion ou contact direct, aucun élément de preuve crédible ne démontre que son affection peut raisonnablement être attribuée à cette exposition.

La preuve scientifique au dossier indique que les membres des Forces canadiennes qui ont pris part à des essais chimiques n’étaient pas exposés à un risque accru de souffrir d’effets indésirables à long terme. Il en va de même pour les militaires qui ont effectué leur entraînement à des sites de pulvérisation en 1966 et en 1967 puisque la preuve au dossier indique que leur exposition était si faible qu’il était peu probable que ces militaires souffrent d’une affection liée à la dioxine11.

De même, la politique d’Anciens Combattants Canada relative à l’exposition à l’agent Orange n’aide pas non plus l’appelant . Selon cette politique, les vétérans qui ont servi au Vietnam et qui souffrent des affections ciblées par l’Institute of Medicine dans une liste bénéficient de la présomption selon laquelle cette affection a été causée par leur exposition à l’agent Orange pendant leur service au Vietnam. En ce qui concerne les demandes liées à une exposition ailleurs qu’au Vietnam, comme à la BFC Gagetown, les demandeurs doivent fournir des éléments de preuve raisonnables démontrant que cette exposition est liée à un risque accru de souffrir d’effets indésirables à long terme et irréversibles et d’une affection reconnue par Anciens Combattants Canada comme étant liée à l’exposition à l’agent Orange. En l’espèce, il n’y a aucun avis médical ou scientifique au dossier démontrant que l’appelant a, au cours de son service militaire, été exposé à une substance et que cette exposition est liée à un risque accru de souffrir d’effets indésirables à long terme et irréversibles.

En ce qui concerne la décision de la Cour fédérale dans McAllister c. Canada (Procureur général), 2014 CF 991, le comité estime qu’il serait erroné de conclure que les directives de la Cour dans cette affaire démontrent automatiquement le bien-fondé de la demande de l’appelant en l’espèce. Dans McAllister, la Cour a conclu que le Rapport Furlong n’établissait pas que le personnel militaire s’était vu interdire l’accès aux sites de pulvérisation et que les demandeurs n’étaient pas tenus de prouver qu’ils avaient été en contact direct avec une substance toxique ou qu’ils y avaient été exposés pour avoir droit à une pension. Le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision en concluant que le Rapport Furlong constituait la meilleure preuve en ce qui a trait à l’interdiction d’accès aux sites de pulvérisation alors qu’on lui présentait des éléments de preuve contradictoires. Il aurait été raisonnable de se fier à la preuve présentée par M. McAllister et ses collègues.

Chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres. La preuve médicale et la situation d’un demandeur diffèrent d’un cas à un autre. En l’espèce, le comité conclut que l’appelant n’a pas démontré que l’exposition à l’agent Orange ou à d’autres toxines au cours de son service militaire avait causé ou aggravé l’affection dont il est atteint, soit la maladie de Parkinson. Rien dans le dossier n’indique que l’appelant a été exposé de façon dangereuse à une substance toxique et ce dernier n’a présenté aucun avis médical crédible démontrant que son service militaire était lié à l’affection faisant l’objet de la demande.

Le comité a examiné les décisions du Tribunal présentées par l’appelant; ces décisions concernaient des cas qui ressemblaient au sien et dans lesquels une indemnité avait été accordée. Bien qu’il soit important de faire preuve de cohérence pour promouvoir le principe de l’égalité devant la loi et réduire les risques de rendre une décision arbitraire, le comité doit rendre une décision en se fondant sur les principes de droit pertinents en l’espèce.

Les décisions relatives aux prestations d’invalidité pour les vétérans ont longtemps reposé sur le principe qu’il faut accorder le bénéfice du doute aux demandeurs lorsqu’on apprécie la preuve. Ce principe est codifié aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Pourtant, il est également évident que le demandeur doit présenter des éléments de preuve fiables. Les tribunaux, y compris la Cour fédérale du Canada, ont fourni une orientation très utile en ce qui a trait au principe du bénéfice du doute.

La Cour a conclu que cela signifie que le comité doit examiner les éléments de preuve sous le jour le plus favorable possible à l’appelant et trancher toute incertitude en sa faveur.

Les arbitres doivent tenir compte de la disposition relative au bénéfice du doute, mais ils ne doivent pas accepter d’emblée toutes les observations d’un demandeur. La preuve présentée par ce dernier doit être crédible et raisonnable et ne doit pas reposer sur des conjectures : Tonner c. Canada (1995), 94 F.T.R. 314; confirmé dans (12 juin 1996) A 263-95 (C.A.F.).

La décision Schut c. Canada, 2003 CF 1323, mentionne ce qui suit à propos des articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ::

Le demandeur soutient que tout ce qu’il avait à faire en l’espèce c’était de soulever un doute […] Il ajoute que, cela fait, l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) requiert de trancher l’incertitude en sa faveur.

La jurisprudence laisse toutefois entendre que les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ne libèrent pas le demandeur du fardeau qui est le sien de démontrer, par prépondérance des probabilités et en examinant la preuve sous l’angle le plus favorable possible, que son incapacité est liée au service.

Le Tribunal doit déterminer si, au vu d’une preuve fiable, il existe un doute raisonnable quant à la question de savoir s’il y a un lien de causalité pertinent entre l’invalidité et le service militaire. Le cas échéant, il faut donner le bénéfice du doute au demandeur. Toutefois, cela ne libère pas le demandeur du fardeau de produire une preuve fiable en fonction de laquelle un tel doute pourrait être soulevé13.

Malheureusement, le Tribunal est d’avis que l’appelant n’a pas établi le bien-fondé de sa demande d’indemnité d’invalidité et estime qu’aucune incertitude ne pourrait être tranchée en faveur de l’appelant.

Même si le comité avait commis une erreur en ce qui a trait à l’appréciation de la preuve et à ses conclusions concernant la demande, la loi ne l’autorise pas à accorder à l’appelant l’indemnité d’invalidité qu’il demande. L’article 54 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes dispose qu’aucune indemnité d’invalidité ne doit être accordée au vétéran pour des degrés d’invalidité excédant cent pour cent. En l’espèce, le degré d’invalidité de l’appelant excède cent pour cent. La question à trancher est donc sans intérêt pratique. Toutefois, le comité estime qu’il devait rendre une décision afin de se conformer à l’ordonnance de la Cour fédérale.

DÉCISION

La décision de révision datée du 26 octobre 2011 par laquelle la demande d’indemnité d’invalidité pour la maladie de Parkinson du demandeur a été rejetée est confirmée.

Lois pertinentes :

Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes. [L.C. 2005, c. 21.]

Article 45

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), [L.C. 1987, c. 25, art. 1; L.R.C. 1985, c. 20 (3e suppl.), art. 1; L.C. 1994-1995, c. 18, art. 1, TR/95-108]

Article 3
Article 25
Article 39

_________________________

1 Blount c. Canada (Procureur général), 2017 CF 647.
2Sanders c. Canada (Procureur général), 2015 CF 556, au paragraphe 32, Chaytor c. Canada (Procureur général), 2011 CF 501, au paragraphe 28.
3 Canada (Procureur général) c. Wannamaker, 2007 CAF 126, Rioux c. Canada (Procureur général), 2008 CF 991.
4 Mémoire, p. 30.
5 Mémoire, p. 60, 62-63, 68-69, 70, 77-79, 82, 86, 98-100, 101-102.
6 Mémoire, p. 152.
7 Mémoire, p. 380-388.
8Tâche 2A : Données historiques et scientifiques sur les essais des herbicides à la BFC Gagetown de 1952 à nos jours, rapport sommaire, p. 2; BFC Gagetown, Programmes de pulvérisation d’herbicides 1952 – 2004 : Rapport de l’enquêteur, p. 14.
9 Voir, par exemple, Woo (Succession de) c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 1233 et Lunn c. Canada (Procureur général), 2017 CF 840.
10 Mémoire, p. 70.
11 Tâche d’établissement des faits 3A-1, partie 1 : Évaluation des risques pour la santé humaine découlant d’expositions passées à des contaminants associés aux essais américains de défoliants en 1966-1967 à la BFC Gagetown, rapport sommaire, p. 3-4.
12Exposition à l’agent Orange et autres herbicides non homologués de l’armée américaine (le 28 novembre 2013). Cette politique doit être lue conjointement avec deux autres politiques d’Anciens Combattants Canada : Évaluation et classification d’avis d’experts en matière de santé et de preuves scientifiques (le 28 novembre 2013) et Exposition à des matières dangereuses et à la radiation (le 28 novembre 2013).
13 Ministre des Pensions et de la Santé nationale c. Greer (1958) 2 WPAR 957, p. 965-967.